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Méthodologie

Etat de l'art

La sociologie a peu investi le secteur des arts plastiques comme terrain de recherche. Les travaux dans ce domaine se sont focalisés principalement sur les questions de la reconnaissance artistique. Depuis les travaux pionniers de R. Moulin dans les années 1980, les recherches ont examiné les caractéristiques sociologiques des artistes, les conditions de leur émergence, la pluriactivité (Moulin, 1985 ; Liot, 2009 ; Sinigaglia-Amadio, Sinigaglia, 2017 ; Patureau, Sinigaglia, 2018). Cette dernière est souvent présentée comme un obstacle à l’implication pleine et entière dans un travail artistique et donc comme le signe d’une précarité qui entre en opposition avec l’idéal d’une nécessaire implication totale et exclusive de l’artiste dans le travail créatif. Ces configurations de travail sont rarement examinées comme des composantes d’une activité professionnelle multidimensionnelle.

 

 

Sans sous-estimer les contraintes qu’engendre cette diversification de l’activité, cette recherche s’inscrit dans une autre perspective qui considère que le mythe de l’artiste moderne constitué sur le principe de l’art pour l’art a occulté grandement cette composante multidimensionnelle qui a toujours existé dans les métiers artistiques. Toutefois, les formes de celle-ci se sont modifiées ces dernières années face à l’hybridation des disciplines, aux transformations technologiques et aux changements dans l’administration et la gestion des activités. Étudier plus précisément ces changements conduit à considérer l’activité artistique comme la résultante d’une interaction avec un environnement social. Cette perspective nécessite de prendre en compte le rôle des intermédiaires (Lizé, Naudier, Roueff, 2011 ; Jeanpierre, Roueff, 2014) la mise en oeuvre locale ou nationale des politiques de soutien aux artistes, les modalités de commande mais aussi les dispositifs de médiation et de rencontre avec les publics qui enrôlent les artistes dans de nouvelles formes d’activité à la frontière des mondes de l’art.

 

La recherche sur le secteur des arts plastiques a porté également sur les mondes de l’art (Becker, 1982) et sur l’organisation du contexte artistique, analysé principalement sous l’angle des marchés de l’art (Moulin 1992 ; Quémin 2002 ; Moureau, Sagot-Duvauroux 2010 ; Crane, 2014). Ces travaux ont montré comment les trajectoires artistiques se construisaient dans la rencontre entre l’activité marchande spécifique au secteur des arts plastiques contemporains et les institutions publiques (musées, centres d’arts, FRAC etc.). Souvent focalisés sur la dimension internationale de l’économie de la culture, ces travaux révèlent aussi les limites d’un modèle français d’aides publiques dans un contexte d’internationalisation (Quémin, 2002 ; Moureau, 2015). Plus rares sont les travaux à prendre en compte le contexte local et territorial de l’exercice de l’activité artistique (Azam, 1998 ; Girel, 2002 ; Liot, 2005). Or, si la mobilité est une des composantes actuelles des trajectoires artistiques et si les nouvelles technologies peuvent laisser penser à une extra-territorialisation des pratiques, pour la plupart des artistes, la mobilisation des ressources locales restent essentielle au développement de l’activité. Le territoire et ses acteurs (conseillers sectoriels de la DRAC, enseignants des écoles des beaux-arts, responsables de résidence, directeurs de FRAC ou de galeries, collectionneurs etc.) forment une nébuleuse de ressources sur lesquelles se construit un réseau à disposition des artistes et qui leur permet de saisir des opportunités professionnelles. L’épaisseur de cet univers relationnel et la manière dont il structure le travail artistique sont des éléments essentiels à prendre en compte. L’analyse des configurations régionales ou locales, des dispositifs spécifiques liés aux collectivités territoriales ou à l’initiative des acteurs, ce qu’ils produisent comme représentations et comme ressources permettent de comprendre comment se construit l’économie de la création.

 

Depuis, les années 1980, l’implication des collectivités publiques dans le financement de l’art contemporain s’est fortement accentué en créant une demande institutionnelle forte pour ces formes artistiques. La visibilité de ce réseau institutionnel s’est accru ces dernières années, avec l’action des FRAC, des centres d’art, des résidences, de la commande publique etc. Dans le même temps, l’influence des galeries d’art dans l’accompagnement des artistes semble s’être amoindrie. Le lien aux galeries est plus ponctuel et plus fragile alors que de nouveaux intermédiaires associatifs notamment voient le jour (collectifs, pépinières, tiers-lieux etc.) et que certaines collectivités territoriales mettent en place aussi des systèmes d’accompagnement. Cette nouvelle organisation a conduit à distinguer une activité artistique orientée par une économie des oeuvres et une activité orientée par une économie de projet où c’est le processus artistique qui devient central par rapport à la matérialité de l’oeuvre (De Vrièse M., Martin B., Melin C., Moureau N., Sagot-Duvauroux D., 2011). Cette dernière modalité étant davantage connectée au financement des collectivités publiques. Toutefois, la visibilité et la médiatisation des institutions de l’art contemporain peut conduire à invisibiliser l’activité marchande liée à la vente des oeuvres qui continue de fournir une part non négligeable du revenu des artistes même pour ceux qui s’inscrivent dans une démarche de projet. Cette dimension est moins visible parce que peu de galeries existent en région, parce qu’elles sont rarement associées aux concertations et à la structuration du secteur et aussi parce qu’une part de cette économie se réalise sans intermédiaires formels. Beaucoup d’artistes parvenant à constituer un réseau de collectionneurs qui soutiennent leur travail dans une modalité d’activité plutôt confidentielle.

 

Analyser l’économie de la création consiste à prendre en compte cette partie invisible du champ artistique pour comprendre comment s’articulent les différentes ressources de l’artiste. Cette recherche souhaite aborder l’organisation du travail artistique saisie à partir des transformations des techniques artistiques, des modes de diffusion et de production, dans un contexte à la fois national et local, marqué également par une injonction à l’internationalisation. La recherche complétera ainsi les travaux existants sur les artistes, les mondes de l’art et les intermédiaires. Elle souhaite articuler les approches en tenant ensemble des dimensions souvent séparées : l’analyse du contexte et celle des caractéristiques personnelles des artistes.

 

 

Il s’agit d’entrer au plus près du travail artistique concret et de comprendre comment les artistes mobilisent des compétences, utilisent des ressources, comment ces ressources se combinent et s’agrègent, avec quelle signification pour les artistes et avec quelle représentation de leur activité. Il s’agit de saisir un univers professionnel largement informel et donc mal identifié et connu des acteurs culturels eux-mêmes dans un secteur artistique encore peu structuré professionnellement. Une recherche de ce type peut permettre d’identifier de nouvelles configurations professionnelles, faire apparaître les contraintes des fonctionnements existants, les effets induits des modes d’organisation actuels, les représentations antagonistes des acteurs sur le métier d’artiste et interroger ainsi la pertinence des politiques d’accompagnement.

 

Le secteur des arts plastiques s’engage depuis quelques années dans une recherche de structuration. Celle-ci est fortement accompagnée par le ministère de la Culture et par certaines Régions. Elle a débuté notamment en 2015 avec la mise en oeuvre des SODAVI - Schémas d’orientation pour le développement des arts visuels – qui a donné lieu dans plusieurs régions à des concertations et a abouti en Nouvelle-Aquitaine à la création d’un premier contrat de filière2. Cette recherche inscrite dans les “sciences participatives” est à même de donner des éléments d’analyse qui permettent d’aider à la poursuite de cette structuration et à la mise en oeuvre de politiques structurantes, articulées et adaptées aux enjeux du secteur.

Terrains d'enquête et méthodes

L’enquête est située principalement en région Nouvelle-Aquitaine mais elle sera complétée par une ouverture interrégionale envisagée à partir de deux journées d’étude organisées avec les partenaires du projet. Celles-ci viseront à faire dialoguer la recherche avec les observations ayant lieu dans d’autres régions de France afin de faire émerger les spécificités régionales mais aussi d’induire des collaborations dans l’organisation émergente du secteur. 

L'enquête a été articulée selon deux axes principaux : 

​Axe 1 : Enquête auprès des artistes visuels
Entre 100 et 120 entretiens biographiques + observations 

La démarche qualitative d’entretien semi directif sera privilégiée pour recueillir les éléments nécessaires à la compréhension du parcours des artistes, aux modes de mobilisation des ressources, à leur diversification et à leur inscription dans des réseaux. Les entretiens biographiques approfondis permettront de reconstituer les trajectoires professionnelles et de comprendre les contraintes qui pèsent sur les choix et les logiques qui en découlent. La population d’artistes faisant l’objet de l’enquête sera constituée en prenant en compte la diversité des âges, des genres, des techniques, des modes de production. Une attention particulière sera portée à la répartition régionale. Les entretiens seront complétés par des observations recueillies lors de formation ou de rencontres organisées par les réseaux partenaires de la recherche. Plusieurs entrées ont été privilégiées pour identifier la population des artistes à rencontrer : 

- Les partenaires de la recherche participative : les lauréats des appels à projets du contrat de filière géré par le réseau ASTRE, les artistes faisant partie du fonds de l’association DOCUMENT D’ARTISTES, les artistes accueillis dans la pépinière de la fabrique POLA, dans les résidences du territoire ou encore les artistes identifiés par le réseau des écoles d’art de Nouvelle-Aquitaine GRAND HUIT ;
- Les anciens étudiants du master “Artiste intervenant : pratiques artistiques et actions sociales”. Ce master propose de former des artistes capables d’intervenir dans différents milieux sociaux. Après plus de 10 ans d’existence, le master a formé de nombreux artistes qui travaillent dans une perspective intersectorielle et souvent organisés en collectif ;

- Les auteurs de bande dessinée plasticienne : formés dans des écoles d’art (notamment Ecole européenne supérieur d’art d’Angoulême), une partie des auteurs de bande dessinée ont une pratique hybride et expérimentale qui les rapproche du secteur des arts plastiques contemporains mais qui introduit aussi des spécificités dans les modes de production et de diffusion. Il s’agit d’observer la diversification de l’activité et le dépassement des frontières des mondes de l’art ; 

- Les artistes en précarité identifiés par les réseaux liés à l’insertion tel le dispositif d’accompagnement PLACE (département de la Gironde), en étant attentif à repérer d’autres dispositifs d’accompagnement sur le territoire (pôle emploi, conseils départementaux) ;

- Dans une perspective longitudinale, l’enquête portera aussi sur un échantillon d’artistes qui ont déjà fait l’objet d’entretiens approfondis à la fin de la décennie 1990 dans le cadre de la thèse de doctorat de Françoise Liot. Le terrain portait alors sur 100 entretiens d’artistes plasticiens Aquitains (Liot, 2004). Cette démarche donnera une compréhension particulière de l’évolution des compétences, des réseaux et de la diversification de l’activité.

 


Axe 2 : Enquête auprès des professionnels du secteur ​
Environ 40 entretiens semi-directifs + recherche participative (6 rendez-vous)


En lien avec les partenaires de la recherche, il s’agissait d’identifier et de rencontrer les acteurs constituant l’environnement professionnel des artistes et qui participent à l’organisation du secteur. Dans le domaine des institutions publiques ou associées : les centres d’arts, les FRAC, les conseillers DRAC, les personnels des écoles d’art, les responsables des collectivités territoriales impliqués dans des dispositifs d’accompagnement (conseil départemental 33) ou dans des politiques actives de soutien au secteur des arts plastiques (conseil départemental 24). Du côté des structures privées marchandes ou associatives : les galeries, les éditeurs, les résidences, les commissaires indépendants et critiques d’art, les tiers lieux, les fédérations et réseaux, les collectifs d’artistes. La rencontre avec ces professionnels s’organisera en entretiens semi-directif mais également dans le cadre de journées de travail en groupe, dont le contenu est reporté sur ce site.


L’objectif était de s’appuyer sur les partenaires du projet pour organiser avec eux des rencontres autour de questionnements liés à la problématique de recherche.

Une recherche inscrite dans les "sciences participatives"

La recherche s’articule à la question de la rémunération mais la déplace vers une analyse plus large de l’économie de la création et de la place des politiques publiques dans l’organisation économique du secteur. Ce projet de recherche émane d’une convergence entre l’intérêt scientifique d’explorer une problématique encore peu abordée dans la recherche académique et l’actualité du secteur en région Nouvelle-Aquitaine marquée par la mise en place d’un contrat de filière signé entre le réseau Astre, la DRAC et la région Nouvelle-Aquitaine (en réécriture en 2021). Cette contractualisation est le résultat de la concertation qui a eu lieu dans le cadre du SODAVI entre 2016 et 2018. Celle-ci a rassemblé plus de 500 professionnels du secteur des arts visuels en région dont 160 artistes. Le premier contrat de filière engage notamment vers un développement de la coopération entre les acteurs et vers le soutien aux parcours des artistes. Il pointe également les besoins d’étude pour une meilleure connaissance des enjeux et des évolutions du secteur en pointant la nécessité adosser cette observation à une recherche scientifique pluridisciplinaire. 

Le choix d'un volet participatif nécessitait de construire un dispositif qui permette de s’appuyer sur les acteurs de terrain pour qu’ils apportent leur vision et leurs données à la recherche en cours. Cette « coproduction des savoirs », qui implique des protocoles particuliers, est une des conditions pour répondre à une demande sociale d’intérêt général et, en l’espèce, pour faire converger l’intérêt des acteurs et les logiques de recherche et pour permettre une opérationnalité des résultats. L'objectif de départ était de construire un mouvement pendulaire entre la recherche et l’action sachant que la difficulté principale, qui ne doit pas être occultée, provient de la différence de temporalité entre un processus de recherche qui doit prendre le temps de la collecte des données et de leur analyse et le temps de l’action rythmé par un souci d’effectivité à court terme.

Terrain & méthode
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